En 1843 dans son « Histoire Statistique et archéologique de la ville de Montagnac… et des
onze communes de son canton », sur l’explication du nom « Mauchiens », REY DE
LACROIX propose deux possibilités qu’il livre sans privilégier l’une ou l’autre :
« On aime à connaître l’origine du lieu où l’on a reçu la vie ; mais il est souvent bien difficile
d’arriver à la découverte de la vérité sur ce point, quand surtout elle remonte, comme Saint
Pons, aux temps les plus reculés, et que les documents ont successivement disparu de siècle
en siècle, soit par l’incurie des conservateurs des archives, soit par l’effet des révolutions et
les ravages du temps. On doit alors rechercher avec soin les traditions, les comparer entre
elles et n’adopter que celles qui paraissent approcher le plus de la vérité.
Au pied du mamelon sur lequel a été bâti Saint Pons, existaient du temps des Romains
quelques maisons qui formaient une petite bourgade ; elles finirent par tomber en ruine, et de
leurs débris on construisit à la même place un hameau qui prit le nom de St Julien. Ce hameau
a disparu à son tour ; il n’en reste que des vestiges, et une croix qui porte le nom de Croix de
Saint Julien et l’a donné à une petite rivière qui coule non loin de là.
Le mamelon dont nous venons de parler était couvert de bois. Un phénomène qui portait
l’effroi dans l’esprit des paisibles habitants de Saint Julien, se manifestait dans ces bois,
toujours dans la nuit et à l’époque des grandes chaleurs seulement. C’étaient, dit-on, trois
flammes légères comme celles des lampes ou des cierges. Pendant bien des années la crainte
et la superstition empêchèrent de s’assurer de ce que cela pouvait être. Cependant quelques
hommes courageux voulurent découvrir d’où provenaient ces lueurs et ils grimpèrent pendant
la nuit sur la cime de ce mamelon, après s’être bien orientés sur le point d’où partait cette
clarté ; mais en y arrivant tout avait disparu. Des tentatives réitérées n’eurent pas un meilleur
résultat. On attacha enfin à ce lieu des idées superstitieuses qui jetèrent de profondes racines
dans l’esprit des habitants du hameau de Saint Julien ; idées qu’une longue succession de
siècles n’a pu totalement extirper.
Voici une opinion qui nous paraît fondée et qui doit faire disparaître le merveilleux de cette
tradition quelque avérée qu’elle soit.
Parmi les arbres qui couvraient le mamelon, il y avait beaucoup de sapins résineux qui,
échauffés par les rayons brûlants du soleil d’été, devaient laisser échapper pendant la nuit
quelques-uns des rayons lumineux dont ils s’étaient saturés pendant les fortes chaleurs de la
journée, et qui disparaissaient à l’approche d’une clarté plus forte, produite par les flambeaux
dont s’armaient les explorateurs, ce qui faisait naître leur désappointement.
Une autre opinion non moins probable est que ces lueurs, si effrayantes pour ce peuple
crédule, pouvaient être produites par des branches pourries et phosphorescentes comme on en
trouve beaucoup ; cette opinion est d’autant mieux fondée que c’était toujours du même
endroit que s’élevaient ces flammes légères…
Saint Julien a éprouvé le sort de la bourgade romaine à laquelle il avait été substitué et il n’en
resta, comme nous l’avons dit, que des vestiges.
Le bois qui le dominait fut abattu, et, en l’an 400 de l’ère chrétienne, un château fort fut
construit au sommet du mamelon : on ignore quel en fut le premier propriétaire ; mais ce que
la tradition nous a appris, c’est qu’il y résidait avec des officiers et des valets. Quoiqu’il
n’aimât pas la chasse il avait une meute nombreuse de chiens destinés à garder et défendre
l’approche du château pendant la nuit. Ces chiens étaient confiés aux soins d’un homme qui
les tenait enfermés pendant le jour, mais qu’il laissait libres dans la cour à une heure
déterminée de la nuit, après celle de la retraite. Jamais le propriétaire ne les visitait.
Il sortit un soir de son château sans avoir prévenu personne de l’excursion qu’il allait faire et
ne rentra qu’après que les chiens eurent été lâchés. Ceux-ci ne le connaissant pas s’élancèrent

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sur lui et le déchirèrent de leurs morsures. Aux cris affreux qu’il poussa, ses gens accoururent,
et au moment où il expira il proféra, dit-on, ces paroles : ô los mas cos ! oh ! les mauvais
chiens ! et, si l’on en croit cette tradition, c’est de là qu’est venue la qualification de Saint
Pons de Mauchiens, par contraction ou abréviation de mauvais chiens, en patois dé los mas
cos, et par corruption dé las mascas.
Nous ne donnons cette tradition à nos lecteurs que pour ce qu’elle peut valoir sans en garantir
l’authenticité. »
De fait les premiers textes sur St Pons (990, 1046, 1059) précisent « qu’on appelle
Maloscanos », ce qui, écrit en deux mots, malos canos, peut renvoyer à de mauvais chiens.
Cela se retrouvera dans des textes plus récents (1271, 1287, fin XIVe), et en latin, avec les
mots « malis canibus ». Ce qui est repris par Eugène THOMAS : « « L’étymologie de
Mauchiens est certainement de Malis canibus, d’une ancienne légende de chiens qui
dévorèrent leurs maîtres ».
On peut noter que « malis canibus » se retrouve inversé, en Roussillon, où selon Jean Louis
BONNET « une dépendance de l’abbaye de Fontfroide s’appelait grangia Sancti Salvatoris
de Canibus Malis, aujourd’hui Canemals ».
Voici cette légende comme la rapporte Constant BLAQUIERE :
« A une époque très reculée, le seigneur du château avait des chiens énormes, qu’il lâchait la
nuit dans l’enceinte des remparts. C’étaient de vigilants gardiens redoutés des ennemis et des
voleurs. Un soit, ledit seigneur entra fort tard dans son château ; la nuit était sombre ; les
chiens faisaient bonne garde. A peine le maître eût-il franchi le seuil de la porte, que ces
terribles animaux se jetèrent sur lui avec des hurlements hostiles et le dévorèrent. On dit,
qu’avant d’expirer, le malheureux seigneur, tout couvert de sang, la figure, la poitrine et le
cou mis en lambeaux par les dents de ces dogues furieux, s’était écrié « Mali canes ! (Mauvais
chiens !). Plus tard, dans le patois en usage dans cette contrée, on appela ce village : San Pous
de Las Mascos ».
Une version plus longue et plus imagée de cette légende est contée par Henri BELLUGOU
dans son ouvrage « Occitanie, légendes, contes, récits » (1978, p.187-196) avec deux
illustrations de Gabriel LARDAT (le village et les chiens dévorant leur maître).
Le château n’existait pas en l’an 400. On voit mal où pouvaient être lâchés ces fameux chiens
féroces. Mais la légende est belle. En tout cas, c’est sur cette légende que furent en partie
réalisées les armoiries de St Pons et que se fixa l’animal totémique du village : le chien.